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ACMy Marc Morand, 2020/2, B 2 Conférence de Marc Morand faite au Cercle démocratique de Vevey, relatant l’histoire du Valais depuis 1475, l’historique du parti libéral-radical en Valais et ses revendications contre le parti conservateur-catholique., 1924 (Série)
Contexte de plan d'archivage |
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Niveau: | Série |
Zone d'identification |
Cote: | ACMy Marc Morand, 2020/2, B 2 |
Titre: | Conférence de Marc Morand faite au Cercle démocratique de Vevey, relatant l’histoire du Valais depuis 1475, l’historique du parti libéral-radical en Valais et ses revendications contre le parti conservateur-catholique. |
Période de création: | 1924 |
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Zone du contenu et de la structure |
Contenu: | Savoir : « Messieurs, avant de vous parler de la situation et du programme actuels du parti radical valaisan, permettez-moi de planter quelques jalons sur la voie du développement de la démocratie dans mon canton. C’est au XIIIe et XIVe siècles que la démocratie fit entendre ses premiers balbutiements, s’appuyant sur les évêques de Sion pour faire échec à la noblesse haut-valaisanne, qui, trop souvent, se signalait par des actes arbitraires et tyranniques. Aussi longtemps que les nobles furent puissants, les évêques furent leurs rivaux et se tournèrent vers le peuple, dont ils se constituèrent les protecteurs.
Ce fut ainsi que, vers la fin du XIVe siècle, les puissants seigneurs de la Tour furent chassés du pays, et qu’au début du XVe siècle, le peuple se révolta contre la fière famille des « de Rarogne » et ses adhérents, après avoir levé la mazze [matze], ce signe de la vengeance populaire, première forme du référendum. En 1475, un descendant des « de Rarogne », Ruff Asperberg, réclama des biens de ses pères ; il obtint l’appui de l’Evêque de Genève, Jean Louis de Savoie, et parut à l’improviste devant Sion, à la tête d’une armée de 10'000 hommes. Le cri d’alarme retentit dans le pays et les Hauts-Valaisans, renforcés par des troupes e Berne et de Soleure, infligèrent une défaite sanglante à l’armée de Savoie. Cette bataille, qu’on nomme la bataille de La Planta, décida du sort du Bas-Valais. Dès cette époque, ce malheureux pays dont la Savoie et le Haut-Valais s’étaient disputés les dépouilles pendant des siècles, dut définitivement acquis à ce dernier. Le Haut-Valais, composé de sept dizains, nos anciens districts, partagea le Bas-Valais en six dizains, qui furent gouvernés par des baillis ou gouverneurs, envoyés tous les deux ans par les dizains supérieurs. Cette domination absolue dura plus de trois siècles. En 1790, le Haut-Valais avait fourni 141 gouverneurs à Saint-Maurice et 128 à Monthey. C’est la période de l’hégémonie du Haut-Valais sur le Bas-Valais, l’évêque en tête, qui porte le titre de Compte et Préfet du Valais. |
| Cette puissance cléricale, appuyée par le peuple du Haut-Valais, atteint son plus grand lustre, mais connaît en même temps ses plus gros orages, sous le Cardinal Mathieu Schiner, mort en 1522. Mais, peu à peu, les nouvelles idées semées par le protestantisme s’infiltrèrent dans les familles bourgeoises influentes et pénétrèrent même jusque dans le sanctuaire de la noblesse, si bien qu’en 1554, raconte-t-on, les premiers personnages du pays se rassemblaient dans la maison du capitaine du pays (Landes Hauptmann) Stockalper, pour chanter des psaumes et lire les écrits de Luther et Zwingli. Fait curieux, le Bas-Valais fut alors beaucoup moins accessible aux idées de la réforme que le Haut-Valais. L’influence du protestantisme sur les esprits d’alors sapa peu à peu le prestige des évêques et de la république cléricale dont ils étaient les chefs. Dès le milieu du XVIe siècle, l’évêque avait dû convertir en titres honorifiques les droits réels qu’il prétendait tenir comme prince de l’Empire et, au commencement du XVIIe siècle, l’Evêque Hildebrand Jost (Yost) renonçait solennellement au pouvoir temporel. Dès lors, les Sept dizains du Haut-Valais formaient un Etat démocratique indépendant. Ce pouvoir fut exercé par le Landrat ou Diète, dont les députés étaient nommées par les Sept dizains du Haut-Valais, savoir : Conches, Brigue, Viège, Rarogne, Loèche (Louèche), Sierre, Sion. Le Landrat nommait, suivant un ordre de rotation, les gouverneurs ou châtelains des dizains du pays sujet (Bas-Valais), au nombre de six. Ces gouverneurs ne firent rien pour leurs administrés qui étaient soumis à l’arbitraire le plus complet. Dans cet état de choses, il est très facile de comprendre que le souffle de l’indépendance qui partait de la France, à l’époque de la Révolution, fut respiré à pleins poumons par les Bas-Valaisans, aussi bien que par tous les pays sujets de la Suisse.
Un premier mouvement révolutionnaire déclenché à Monthey en 1790 fut sévèrement réprimé en 1791, et cinq des chefs, malheureuses victimes de leur patriotisme, furent exécutés à Sion. C’est à cette époque que surgit la figure du héros populaires, le Gros Bellet, qui n’a joué dans l’histoire de l’indépendance du Bas-Valais, qu’un rôle pittoresque et anecdotique. Les années suivantes ne se signalent par aucun fait remarquable. Le Haut-Valais maintint son système gouvernemental ; mais le feu couvait sous la cendre, et les idées nouvelles se répandaient et prenaient de jour en jour plus de consistance. Enfin, le 28 janvier 1798 [28.01.1798], grâce à l’appui du résident français Mangourit qui s’installa à Saint-Maurice, l’arbre de la liberté fut planté dans cette dernière ville. Le gouverneur haut-valaisan partit le même jour. Monthey, Martigny et l’Entremont suivirent avec empressement l’exemple de Saint-Maurice. Effrayé par la révolution, le Haut-Valais, en désespoir de cause, fit savoir qu’il renonçait à ses droits souverains sur le Bas-Valais, et qu’il reconnaissait à jamais les Bas-Valaisans pour un peuple libre. L’indépendance du Bas-Valais était un fait accompli. Puis, ce fut le Valais, canton de la République Helvétique, le Valais, Etat indépendant, le Valais, Département du Simplon, rattaché à la France. |
| Le 12 septembre 1814 [12.09.1814], la Diète fédérale admit le Valais dans la Confédération suisse à titre de vingtième canton, et la Suisse, composée désormais de vingt-deux cantons, élabora le fameux pacte de 1815. Le vent était à la réaction. En Valais, comme ailleurs, on prétendait effacer l’histoire des seize dernières années, et les Sept dizains du Haut-Valais réclamaient le rétablissement de tous leurs anciens privilèges. Le Bas-Valais, qui avait joui de 1802 à 1810 de l’égalité des droits, accueillit avec indignation les prétentions du Haut-Valais.
Le 12 mai 1815 [12.05.1815], une nouvelle constitution était mise sur pied. Ouvrage d’une volonté étrangère, cette constitution ne réalisait point dans toute leur étendue les rêves de suprématie dont s’était bercé le Haut-Valais ; d’autre part, le Bas-Valais voyait repoussé le principe pur et simple de la représentation à la Diète proportionnellement à la population des divers dizains. Chaque dizain devait nommer quatre députés, quelle que fût sa population, de telle sorte que les anciens dizains du Haut-Valais, quoique beaucoup moins populeux que ceux du Bas-Valais, avaient une députation plus nombreuse que ces derniers. C’était de nouveau la prédominance du Haut-Valais. Le régime clérical triomphait aussi, puisque l’évêque de Sion, membre de droit de la Diète, disposait de quatre voix dans cette assemblée, c’est-à-dire d’une influence égale à celle de tout un dizain, et la puissance du clergé, auxiliaire précieux du gouvernement réactionnaire, grandissait de jour en jour. Ce retour à la réaction ne pouvait pas durer longtemps.
Dès l’année 1833, les délégués des quatre dizains occidentaux, Martigny, Entremont, Saint-Maurice et Monthey, demandèrent au Conseil d’Etat de provoquer les réformes constitutionnelles nécessaires pour obtenir la reconnaissance du principe de l’égalité des droits et de la représentation proportionnelle. Ce n’est qu’en 1838 que, tiraillée en sens divers, la Diète finit par décréter la révision de la constitution. Mais lorsqu’il s’agit de passer aux actes, les députés du Haut-Valais se prononcèrent pour le statu quo. Ce fut le signal de la révolution et des événements tragiques dont le Valais fut le théâtre jusqu’en 1847. Il serait trop long de retracer dans cette causerie toutes les phases de cette époque où les citoyens épris de liberté et d’idéal démocratiques, furent aux prises avec la réaction cléricale du Valais. Qu’il me suffise de rappeler la formation, en 1839, à la suite de la révision de la constitution, de deux gouvernements, un pour le Haut-Valais, à Sierre, conservant la constitution de 1815, l’autre pour le Bas-Valais, à Sion, élu en vertu de la constitution de 1839 ; la prise d’armes des deux gouvernements en 1840 ; la victoire du gouvernement de Sion, dont l’autorité légale s’étendit à tout le Valais. Une ère de paix, de confiance et de progrès semblait s’ouvrir pour le Valais. |
| Le premier nuage qui vint troubler l’harmonie de cette nouvelle législature, fut la prétention élevée par le clergé, de diriger seul l’instruction publique. Le gouvernement s’y opposa, reconnaissant toutefois, dit son message « l’autorité ecclésiastique comme exclusivement compétente en matière d’instruction primaire religieuse ». Econduit devant le Grand Conseil, le clergé recourut à un auxiliaire que lui avait réservé la constitution du 3 avril 1839 [03.04.1839] : au référendum. Ainsi, c’est au nom de la religion, soi-disant en danger, que le peuple valaisan rejette la loi sur l’instruction primaire et celle sur la répartition des charges militaires qui astreignait le clergé, à l’égal des autres citoyens, au support de ces charges. La réaction triomphait. Le clergé du Bas-Valais réussit à détacher des adhérents du gouvernement de Sion un fort parti uni aux Hauts-Valaisans, sous prétexte de défendre la religion catholique menacée par le régime. Le refus du gouvernement d’entrer dans le Sonderbund mit au comble l’exaspération du clergé. L’association politique, connue sous le nom de « Jeune Suisse », et qui avait pris une part active à la régénération de 1840, mais dont l’activité s’était ralentie à mesure que se consolidait le nouvel ordre de choses, fut excommuniée par l’évêque de Sion. On lui opposa la « Vieille Suisse » ou le parti prêtre.
De jour en jour, l’autorité du gouvernement s’affaiblissait devant la puissance grandissante du cléricalisme, abusant du sentiment religieux du peuple valaisan. En 1844, le gouvernement était renversé. Le parti conservateur-clérical reprenait le pouvoir, entrait dans le Sonderbund, taillait en pièces les libéraux dans un lâche guet-à-pents au pont du Trient, à Vernayaz [la bataille du Trient], constituait un tribunal central chargé de juger les délits politiques, supprimait l’« Echo des Alpes », organe de la Jeune Suisse, et consacrait l’omnipotence des Jésuites dans les collèges classiques et celle de l’évêque dans l’instruction primaire. Puis, ce fut l’intervention fédérale, la guerre du Sonderbund et, en 1847, la capitulation et la chute du gouvernement conservateur. Les libéraux reprennent le pouvoir qu’ils conservent jusqu’en 1856 ; période trop brève mais féconde au point de vue législatif et administratif. La Valais s’organisa démocratiquement, sur la base des principes de la Constitution fédérale de 1848. Son gouvernement élève un magnifique monument législatif qui força l’admiration même de ses adversaires, à tel point qu’aujourd’hui encore, plusieurs des lois votées pendant cette période sont encore en vigueur, telle l’importante loi sur le régime communal. Mais la réaction veillait toujours. Battue, grâce à l’intervention fédérale, elle n’en restait pas moins puissante dans les couches populaires soumises à l’influence énorme du clergé, de telle sorte qu’en 1856, elle renversait une seconde fois le régime libéral et reprenait le pouvoir pour le conserver jusqu’à nos jours. |
| Voici, Messieurs, un résumé bien incomplet de la marche de la démocratie dans notre canton, et des causes et origines du parti libéral valaisan. Et maintenant, permettez-moi d’aborder les temps présents, et de vous donner un aperçu de la situation actuelle et du programme de notre parti libéral-radical valaisan. Parti de minorité depuis 1856, le parti radical obtint pour la première fois en 1887 un représentant au Conseil National, élu après une lutte intense et acclamé dans l’arrondissement du Valais romand qui avait droit à deux députés. Depuis lors, notre parti a toujours conservé le siège si âprement conquis. Un compromis entre les deux partis radical et conservateur, signé pour la première fois en 1893, fut renouvelé à chaque élection au Conseil National jusqu’en 1919, date des premières élections fédérales d’après le système proportionnel. Dans l’arrondissement supérieur, toute lutte fut inutile, les éléments libéraux-radicaux étant trop peu nombreux pour tenter quoi que ce soit contre la forteresse inexpugnable du conservatisme qu’est le Haut-Valais. Pour la première fois aux élections fédérales de 1919, les socialistes, nouveau-nés de la politique en Valais, se constituèrent en parti politique officiel et présentèrent une liste de candidats.
Ce nouveau groupe politique devait évidemment compromettre la réalisation de plus larges espérances pour le parti radical valaisan, par l’amputation de l’aile gauche de ce dernier. Celle-ci – disait « Le Confédéré » de l’époque – a voulu s’abandonner au vol, en se détachant des contingences, et avant de s’enquérir de ses chances ou malchances. Partis trop tôt avec le ferme propos de rester sourds à toutes propositions d’entente, les socialistes n’ont réussi qu’à maintenir les conservateurs sur leurs positions.
En 1922, nouvelle lutte pour les élections au Conseil National. De nouveau, les socialistes marchent au combat avec une liste séparée et empêchent cette fois-ci d’enlever à coup sûr un second conseiller national à la majorité conservatrice. En effet, tandis que la liste conservatrice obtient 110'133 suffrages, les deux listes libérales-radicales et socialiste en font 51'289, soit 37'257 la première et 14'032 la seconde. Une liste commune des deux partis d’opposition, ou simplement l’apparentement des deux listes, eût donné d’emblée deux sièges à la minorité politique du canton. Ainsi, par leur attitude intransigeante, les socialistes valaisans n’auront abouti, une seconde fois, qu’à faire le jeu de la réaction, en lui permettant de conserver cinq députés sur six au Conseil National. Malgré le déchet causé par le nouveau parti socialiste, il ne manquait que sept cents voix au parti radical pour enlever le second siège. |
| L’année précédente, soit en 1921, avaient eu lieu les élections au Grand Conseil, dont les membres furent élus pour la première fois d’après le système proportionnel, en tous points semblable au système fédéral, moins le cumul des candidats et l’apparentement des listes. Ces élections furent pour le parti radical un véritable succès. Les députés, au nombre de vingt-trois sous l’ancienne législature, son aujourd’hui trente, tandis que les socialistes ne conquièrent qu’un seul siège dans le district de Brigue (où les nombreux fonctionnaires et employés fédéraux forment la grande majorité du groupe socialiste de ce district).
La composition du Grand Conseil valaisan est la suivante : conservateurs 78 ; libéraux-radicaux 30 ; socialiste 1. Le parti libéral-radical ne possède aucun représentant dans le Haut-Valais, où le seul nom de radical jette encore l’émoi. Ses députés se recrutent exclusivement dans la partie romande du canton et sont répartis ainsi dans les divers districts : Monthey 4 ; Saint-Maurice 3 ; Martigny 7 (seul district où le parti radical dispose d’une majorité incontestée) ; Entremont 4 ; Conthey 4 ; Sion 3 ; Hérens 2 ; Sierre 3. Ils représentent 6'500 électeurs, sur environ 27'000 citoyens habiles à voter. Pour la première fois en 1921, depuis de nombreuses années, les districts d’Hérens et de Sion, où le parti conservateur régnait en maître, envoient siéger au Grand Conseil des députés radicaux. Malgré ses effectifs qui représentent près du quart du corps électoral, le parti radical n’a pas, en Valais, la place à laquelle il aurait droit. Intransigeant et sectaire, le parti conservateur valaisan réserve à ses adhérents la très grande majorité, pour ne pas dire toutes les fonctions. Le Conseil d’Etat favorise ses créatures jusque dans la nomination aux postes les plus subalternes, comme ceux de cantonniers par exemple, nominations qu’il se réserve jalousement.
Nous avons un représentant au Conseil d’Etat, et un au Tribunal cantonal, mais aucun parmi les neuf juges-instructeurs et présidents de tribunaux qui sont nommés par le Tribunal cantonal. Les rapporteurs ou représentants du ministère public, au nombre de quatorze, ne comptent que deux radicaux. Les greffiers de la Justice sont tous conservateurs. Il manque de juristes dans ces deux districts au moment de leurs nominations. Sur treize préposés aux Poursuites et faillites, tous sont conservateurs [remplace « un seul appartenait au parti radical ; récemment décédé, il vient d’être remplacé par un conservateur »]. Les treize préfets sont tous évidemment des conservateurs de la plus belle encre de Chine, de même que les agents de la Banque cantonale, à l’exception d’un seul. Dans les bureaux de l’Etat, parmi une quantité de fonctionnaires, les radicaux sont aussi rares que les corbeaux blancs. Les officiers de l’Etat-Civil, les inspecteurs scolaires, [illisible] de district, appartiennent tous sans exception à la majorité gouvernementale. Et lorsqu’il s’agit de nommer un dépositaire postal, un facteur, un fonctionnaire ou un employé aux Chemins de fer fédéraux dans une station en Valais, nous assistons régulièrement à l’intervention des hauts personnages conservateurs du canton en faveur d’un de leurs partisans. |
| Trop souvent, le parti radical valaisan, qui fut et est toujours, dans la limite de ses forces, un ferme soutien du parti radical suisse, est éconduit par les autorités fédérales, lorsqu’il tente une démarche en faveur d’un des siens, pour contrebalancer l’influence des chefs conservateurs. Il nous semble, à nous, minorité radicale, dans un canton catholique-conservateur, que le parti radical suisse ne fait pas assez pour nous soutenir et nous encourager. Ecrasés par la majorité gouvernementale cantonale, nous ne trouvons malheureusement qu’un trop faible soutien auprès du pouvoir fédéral, qui paraît trop souvent plus soucieux de plaire aux majorités conservatrices-cléricales des cantons catholiques, que d’accorder son appui aux minorités radicales de ces mêmes cantons. Et pourtant, nos amis radicaux des autres cantons devraient comprendre que, sans l’appui effectif du parti radical suisse, notre parti radical valaisan, molesté par une majorité conservatrice intransigeante et partiale au plus haut degré, finira par se décourager et se détacher peu à peu du parti radical suisse, pour suivre une politique indépendante, marchandant à ce dernier sa collaboration et son appui.
Sans vouloir critiquer la politique fédéraliste et décentralisatrice de la plupart des cantons radicaux, politique à laquelle nous rendons au contraire hommage, puisqu’elle a peut-être sauvé notre chère Suisse pendant la grande tourmente mondiale, il faut néanmoins reconnaître que ce fédéralisme, en laissant aux cantons une liberté d’action presque absolue, est préjudiciable au progrès et au développement des partis de minorité dans les cantons catholiques-conservateurs, puisque ces derniers disposent non seulement des armes qui leur sont propres, amis de celles que leur donne le pouvoir fédéral par l’élaboration de nouvelles lois fédérales en laissant aux cantons la nomination des fonctionnaires prévus par ces lois, telle la loi sur l’Etat-Civil, sur la poursuite et faillite.
Et même si le pouvoir fédéral se réserve certaines nominations, son choix se porte presque régulièrement sur les conservateurs dans les cantons à majorité conservatrice. Il suffit de consulter l’annuaire fédéral pour s’en convaincre. Chez nous [au lieu de « En Valais »], la situation du parti radical est extrêmement difficile et, sans vouloir nous tresser des couronnes de martyrs, je dois à la vérité de déclarer que si nos radicaux n’étaient pas animés de l’enthousiasme qu’entretient en eux la noblesse de leur cause et la beauté de leurs principes, il y a longtemps qu’ils auraient renoncé à la lutte. En effet, toutes les puissances du canton sont liguées contre nous ; nous devons soutenir un combat de tous les jours, pour ne pas succomber. Le gouvernement, le clergé, la justice, l’enseignement primaire et secondaire, le fonctionnarisme, la finance, voilà les armes redoutables des conservateurs valaisans. Et Dieu sait s’ils savent s’en servir. |
| Le clergé nous représente comme des ennemis de la religion catholique (qui est comme vous le savez celle de la quasi-totalité du peuple valaisan). Pourquoi ? Parce que nous sommes les défenseurs de la liberté de conscience, de croyance et des cultes, de la tolérance en matière religieuse, de la neutralité scolaire, de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, principes à la base même de notre démocratie, qui sont inscrits en lettres d’or dans notre Constitution fédérale de 1848, mais qui ont été publiquement condamnés par l’Eglise catholique, notamment dans le syllabus du Pape Pie IX.
Est-ce à dire, Messieurs, que nous en voulions à la religion catholique comme telle ? Non point, mais nous ne tolérons pas et nous ne tolérerons jamais que le pouvoir clérical, intransigeant par nature, empiète sur les attributions du pouvoir civil pour ne faire de celui-ci que le serviteur de ses visées temporelles, car, dès ce moment, il n’y aura plus de vraie liberté et, prisonnier, d’une confession religieuse, l’Etat ne pourra plus remplir sa mission qui est d’assurer à tous les citoyens, quelles que soient leurs opinions religieuses intimes, la possibilité de vivre libres, dans le cadre des principes démocratiques et d’ordre que nos pères ont conquis au prix d’une lutte glorieuse.
L’Eglise catholique, Messieurs, par ses dogmes et ses institutions, est la négation même du libéralisme, car elle seule prétend détenir la vérité. Elle considère comme sa mission supérieure de détruire l’erreur, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas elle. C’est cette mentalité et cette doctrine qui a permis au grand journaliste catholique Veuillot de dire aux libéraux de son époque : « Au nom des principes que vous défendez, je vous réclame la liberté, au nom des miens, je vous la refuse ». Voilà pourquoi elle est l’ennemie née du radicalisme, là où elle peut encore dominer (et voilà pourquoi dans un canton protestant et radical, les catholiques qui ont [illisible] sont souvent des radicaux, parce qu’ils jouissent des libertés qu’aucun autre parti que le parti radical peuvent leur donner). Quant au gouvernement valaisan, il se fait trop souvent l’interprète de cette volonté cléricale et, dans sa haine du parti radical valaisan, il se livre contre les adhérents de ce dernier, à des actes arbitraires [tracé : « que je ne crains pas de taxer publiquement d’ignobles »] et indignes d’un gouvernement juste. |
| Nos futurs instituteurs ou institutrices sont toujours triés sur le volet. Une enquête, à peine discrète, permet au Département de l’instruction publique de connaître l’opinion politique des parents du candidat, et il est excessivement rare que les portes de l’école normale s’ouvrent devant un jeune homme ou une jeune fille dont le père est un radical. La nomination des instituteurs à la tête des classes primaires appartient aux communes, qui paient le 50 % de leur traitement, mais l’Etat a réussi à introduire dans la loi un article qui oblige les communes à soumettre cette nomination à son approbation. ; et il a si bien su faire usage de cette prérogative qu’en fait c’est lui qui nomme à leurs divers postes les membres du personnel enseignant, car si un candidat n’est pas persona grata du gouvernement, ce dernier trouve toujours mille et un prétextes pour ne pas lui donner son agrément. Aussi, l’armée du personnel enseignant dans notre canton est-elle une force sérieuse pour le gouvernement, non seulement par l’influence que nos instituteurs exercent dans leurs villages, mais aussi par l’éducation et la tournure d’esprit qu’ils donnent aux enfants qui leur sont confiés. Le curé de la paroisse fait partie, de droit, de la Commission scolaire, ce qui est une entorse évidente à la Constitution fédérale qui prévoit d’abord que l’enseignement primaire est placé exclusivement sous la direction de l’autorité civile et ensuite, qu’il n’y a pas de privilège de personne ou de classe en Suisse.
Nous avons voulu réclamer contre cette ingérence injustifiée du clergé dans nos écoles, mais lorsque la voix de feu M. le conseiller national Gobat, appuyé par l’ancien conseiller valaisan Défayes, notre vaillant champion, s’est élevée aux Chambres fédérales pour protester contre cette disposition de notre loi sur l’enseignement primaire, elle n’a trouvé, hélas ! aucun écho dans le groupe radical, alors tout-puissant au Conseil National. Grâce à des imprécisions voulues de la loi électorale, le Conseil d’Etat trouve régulièrement le moyen, dans les recours électoraux très fréquents chez nous en matière d’élection communale, de donner raison aux recourants conservateurs, oubliant d’une période électorale à l’autre, ses décisions antérieures, et ne visant dans ses jugements qu’à favoriser le parti conservateur.
Cette situation politique oblige le parti radical valaisan à avoir une forte organisation pour poursuivre sa tâche démocratique et progressiste ; malheureusement, c’est le nerf de la guerre qui nous fait défaut. |
| Nous sommes en ce moment en pleine période électorale. Le 7 décembre [07.12.1924], le Valais nommera ses conseils municipaux ; déjà des recours ont été formulés contre la composition des listes électorales. En voici un échantillon qui nous donnera une idée de l’âpreté de la lutte pour le maintien du pouvoir.
A Collombey, près de Monthey, les deux parties se tiennent de près. Les conservateurs sont au pouvoir depuis huit ans, mais leur administration fut si peu brillante qu’ils craignent sérieusement une victoire du parti radical, le 7 décembre prochain. Que font-ils pour maintenir leur petite majorité ? Malgré l’opposition de l’ assemblée bourgeoisiale de Collombey, l’administration décide la construction d’un grand chalet sur les pâturages bourgeoisiaux et remet ce travail à une équipe d’ouvriers haut-valaisans, de la vallée de Saas, bien entendu, tous des conservateurs. Ces ouvriers, au nombre de dix-sept, travaillent actuellement à cette construction et, bien qu’ils n’aient aucun domicile réel dans la Commune de Collombey, puisqu’il ne s’agit que d’une entreprise de quelques semaines, ils figurent sur la liste électorale dressée par la Conseil conservateur de Collombey. Ce sont donc des hôtes de passage qui décideront, pour quatre ans, du sort politique de cette commune, si le Conseil d’Etat ne fait pas droit au juste recours des radicaux de Collombey.
A Sierre, ce sont trente ouvrier de Saint-Luc, village du val d’Anniviers, travaillant aux usines de Chippis et qui vont coucher le soir à Sierre, que les conservateurs veulent amener aux urnes, pour entamer la majorité radicale. A Fully, grande commune du district de Martigny, où les radicaux dominent, grâce à une majorité de quinze voix, nous voyons les conservateurs livrer un assaut furieux pour conquérir le pouvoir. Depuis plus de deux ans, c’est un sabotage continuel de l’administration, par des multitudes de recours et de rapports au Conseil d’Etat, qui leur fait toujours le plus bienveillant accueil, sans même entendre le Conseil communal. Il y a quelques jours, les conservateurs de Fully, s’apercevant que malgré toutes leurs menées ils ne pourraient pas renverser la majorité, tentèrent d’obtenir du Conseil d’Etat la suspension du Conseil communal et la mise de la commune sous régie, pour n’avoir, soi-disant, pas obtempéré à un ordre de l’Etat.
Un conseiller d’Etat, M. Maurice Troillet pour ne pas le nommer, proposa sans autre cette mesure excessivement grave, sachant trop que la régie, c’était la chute du régime radical ; mais grâce à l’intervention du représentant de la minorité au gouvernement, il fut décidé de convoquer le Conseil communal à Sion, avant de prendre une décision. Nos amis n’eurent pas de peine à démontrer à l’évidence qu’ils n’avaient en rien enfreint les ordres de l’Etat, et celui-ci fut bien obligé de renoncer aux projets honteux des sectaires conservateurs de Fully. Parmi tant d’autres, je vous ai cité quelques cas d’actualité, qui suffiront certainement à illustrer la manière des maîtres conservateurs en Valais. |
| Quoi d’étonnant, dès lors, que les luttes électorales revêtent un tel caractère de violence, et engendrent entre citoyens d’un même village des haines terribles qui ne finissent souvent qu’avec la vie. Si le vin coule à flots pendant les périodes électorales, nous voyons aussi l’argent faire son œuvre. Dans certains villages de 800 à 1000 habitants, ce sont, à l’époque des élections, des milliers de francs que l’on dépense pour accroître le nombre de ces adhérents. Souvent des citoyens sont séquestrés plusieurs jours chez des chefs de file qui les conduisent au scrutin comme un gendarme conduit un prisonnier. Avant la nouvelle loi fédérale [illisible], les citoyens ayant délivré acte de défaut de biens, ceux-ci ne pouvaient pas voter, et c’était amusant de voir le B.O. [Bulletin Officiel du canton du Valais] avant les élections rempli de déclarations attestant que tel et tel citoyen s’était relevé de son acte de défaut de biens. C’étaient les partis qui payaient leurs dettes. Non [illisible] des citoyens qui sont rentrés d’Amérique uniquement pour exercer leur droit électoral dans leur village d’origine. Je vous fatiguerais, Messieurs, si je vous parlais de tous les petits procédés qui jouent au moment des élections ; il faut vivre dans notre canton pour pouvoir y croire.
A la tête du parti est placé le comité central, composé de onze membres pris dans les diverses régions du canton. Chaque district a un comité de district et chaque commune de la partie romande du canton, son comité local. Tous ces organes sont en liaison constante entre eux. Lorsqu’il s’agit de votations ou d’élections importantes, le comité central convoque, suivant les cas, des assemblées générales du parti, qui sont une sorte de Landsgemeinde à laquelle peuvent assister tous les citoyens libéraux-radicaux, ou des assemblées de délégués, nommés dans les communes, à raison d’un délégué par trente électeurs radicaux. Les comités locaux tiennent à jour non seulement la liste de leurs amis, mais celle de leurs adversaires et des douteux. Des chefs de files sont nommés par quartiers, un pour surveiller [illisible] certains citoyens aux opinions fragiles. Il n’y a pas un citoyen qui ne soit pas classé politiquement, et c’est à deux ou trois voix près que se réalisent la plupart du temps les pronostics électoraux. L’organe de notre parti « Le Confédéré », qui paraît trois fois par semaine à Martigny, a été fondé en 1860, et compte actuellement environ 3000 abonnés. Nous ne possédons qu’un seul journal, alors que les conservateurs en ont cinq, sans compter tous les bulletins paroissiaux qui sont autant d’organes politiques déguisés. Un sympathique rédacteur, M. Sauthier (?), est en même temps secrétaire du comité central du parti radical, ce qui constitue un double avantage. Le rédacteur est ainsi toujours au courant de la situation politique et, d’autre part, le parti radical possède un secrétariat quasi permanent. |
| Messieurs, avant de terminer cette causerie, permettez-moi encore quelques mots sur le programme de notre parti. Les principes généraux qui nous guident sont ceux du parti radical suisse, et je ne pourrais mieux faire que de vous lire les quelques lignes écrites en tête de notre programme d’action. ; les voici.
Le parti libéral radical du Valais a pour but de développer la prospérité morale, intellectuelle et matérielle du peuple, en se plaçant sur le terrain de la liberté, de l’égalité et du principe démocratique. Il s’efforce de concilier les intérêts des diverses régions du canton et ceux des diverses parties du peuple. Il combat toutes les tendances susceptibles d’accentuer les conflits d’ordre social ou confessionnel, et s’oppose notamment à la lutte des classes, en défendant énergiquement le maintien de la légalité et en cherchant à concilier les intérêts divergents. Il constitue un parti de réformes et de progrès dans le domaine politique, économique et social. Il affirme son attachement à la Patrie suisse et reconnaît la nécessité d’une armée de milices propres à assurer la défense nationale [tracé : « Il exige la suprématie incontestable et incontestée du pouvoir civil sur le pouvoir militaire et veut une organisation démocratique de l’armée »].
Partisan d’une énergique activité réformatrice, tant au point de vue fédéral que cantonal, le parti libéral-radical valaisan veut un juste équilibre entre la Confédération et les cantons, et une égalité complète du traitement entre les différentes races ou les différentes langues et croyances du pays. Le parti libéral-radical démocratique du Valais s’efforce de consolider la situation financière de la Confédération et du canton en faisant appel surtout à la fortune acquise. Il encourage de toutes ses forces le développement de l’instruction publique à tous les degrés, de l’instruction professionnelle et technique, et de l’éducation civique et morale des citoyens. Son but est de former des citoyens travailleurs, honnêtes et libres dans un pays prospère, instruit et indépendant.
Grâce à la ténacité dont il a fait preuve dans ses justes revendications, notre parti, quoique parti de minorité, a su faire aboutir plusieurs points de son programme ; je ne citerai que la révision de la loi des finances, l’introduction de l’impôt progressif, de l’inventaire obligatoire au décès, la déduction de l’impôt pour un minimum d’existence et à raison des charges de famille, la défalcation des dettes, l’élection du Conseil d’Etat et des conseillers aux Etats par le peuple, le droit pour les fonctionnaires et ouvriers des usines à travail continu de voter dès le samedi après-midi. L’introduction de l’assurance infantile, l’introduction d’une caisse de retraite pour les fonctionnaires et employés d l’Etat, l’amélioration de l’office du travail, l’introduction de la proportionnelle [illisible] etc. Mais il nous reste encore beaucoup à faire. Notre programme est encore vaste ; il prévoit des réformes et des progrès dans tous les domaines de la chose publique. Il serait fastidieux pour vous, Messieurs, d’entrer dans les détails de notre programme d’action, dont une partie ne se conçoit que par la connaissance de la situation actuelle de notre législation ; qu’il me suffise de proclamer que tous nos efforts tendent à maintenir sans tache le drapeau du parti radical qui a créé et fait la grandeur de la Suisse contemporaine. |
| Nous avons confiance dans les destinées du radicalisme suisse, car seul de tous les partis politiques, il est à même d’accueillir dans son sein tous les citoyens progressistes et de bonne volonté, sans distinction de religion, riches ou pauvres, patrons ou ouvriers, artisans ou intellectuels, ne poursuivant qu’un but, le progrès et la liberté dans l’ordre et par la collaboration de tous. Au contraire, le parti conservateur-catholique, notre principal adversaire en valeurs [? peu lisible], parti essentiellement confessionnel exclut de ses troupes tous les citoyens qui ne sont pas catholiques, plaçant au-dessus de tous les intérêts de la religion qui lui a donné naissance. Et, d’autre part, quoi qu’en disent les socialistes, nous radicaux, n’avons pas de limite dans l’évolution sociale, si ce n’est le maintien de la démocratie, c’est-à-dire le gouvernement du peuple par le peuple.
Evolution, toujours ! Réaction et révolution, jamais !
Car il faut le proclamer, la révolution c’est la négation même de la démocratie ; c’est le renversement par la force du pouvoir établi ; tandis que la démocratie permet de réaliser dans la légalité, toutes les réformes vraiment populaires, puisqu’elle s’inclinera toujours devant la volonté librement exprimée de la majorité du peuple.
Messieurs, je vous le demande, un parti confessionnel ou un parti de classe peut-il prétendre à gouverner sainement et avec justice un pays ? Non, parce que ce parti ne connaîtra jamais les fibres diverses de l’âme populaire, son programme et sa raison d’être étant toujours limités par les intérêts d’une religion ou d’une classe. C’est ce qu’ont compris les citoyens qui ont formé le parti libéral-radical valaisan, et dont les successeurs ont le devoir sacré de continuer la tradition en portant haut et ferme le glorieux drapeau du libéralisme valaisan ».
Papier, 1 exemplaire dactylographié avec corrections manuscrites. |
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Fin du délai de protection: | 31/12/1924 |
Autorisation nécessaire: | Aucune |
Consultabilité physique: | Sans restriction |
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