ACMy Marc Morand, 2020/2, B 4b Discours de Marc Morand, député, à l’occasion de sa motion au sujet de la protection ouvrière. De cette motion découlera la Loi sur la protection ouvrière, adoptée par le Grand Conseil le 18 janvier 1935 [18.01.1935], puis par le peuple le 25 juin 1933 [25.06.1933].,

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Niveau:Document

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Cote:ACMy Marc Morand, 2020/2, B 4b
Titre:Discours de Marc Morand, député, à l’occasion de sa motion au sujet de la protection ouvrière. De cette motion découlera la Loi sur la protection ouvrière, adoptée par le Grand Conseil le 18 janvier 1935 [18.01.1935], puis par le peuple le 25 juin 1933 [25.06.1933].

Dates

Période de création:16/05/1929

Support

Support / Träger:Papier, 1 exemplaire dactylographié, avec corrections.

Zone du contenu et de la structure

Contenu:Savoir :
« A l’ assemblée constitutive du 18 mars dernier [18.03.1929], j’ai eu l’honneur, avec quelques-uns de mes collègues, de déposer la motion suivante : « Considérant que malgré l’article 14 de la Constitution cantonale et la motion Camille Défayes, certaines catégories de salariés ne bénéficient pas de la protection légale suffisante ; Considérant qu’il est nécessaire de combler cette lacune de notre législation, les soussignés invitent le Conseil d’Etat à élaborer, à bref délai, une loi de protection réglementant les conditions de travail des salariés qui ne sont pas encore soumis à une législation spéciale ou à l’égard desquels la législation actuelle est insuffisante. »

Messieurs les députés, avant de vous exposer quel doit être, à mon avis, le champ d’application de la nouvelle loi que vise la motion ci-dessus et dans quelles conditions générales elle doit être élaborée, permettez-moi de jeter un coup d’œil rapide sur la législation fédérale et cantonale qui régit actuellement cette matière. C’est en vertu des articles 34, 34 bis et 34 ter de la Constitution fédérale que la Confédération peut légiférer en matière de réglementation des conditions de travail des salariés ; toutefois, ces dispositions limitent la souveraineté de la Confédération dans ce domaine et ne l’autorisent, dit le texte constitutionnel, qu’à « statuer des prescriptions uniformes sur le travail des enfants dans les fabriques, sur la durée du travail qui pourra y être imposé aux adultes, ainsi que sur la protection à accorder aux ouvriers contre l’exercice des industries insalubres ». De plus, dit l’article 34 ter, « la Confédération a le droit de statuer des prescriptions uniformes dans le domaine des arts et métiers ». Ces dispositions de la Constitution fédérale ont permis à la Confédération d’élaborer plusieurs lois, dont les principales sont :
a) la loi fédérale sur le travail dans les fabriques du 18 juin 1914 [18.06.1914], modifiée par la loi du 27 juin 1919 [27.06.1919] concernant la durée du travail dans les fabriques ;
b) la loi fédérale du 31 mars 1922 [31.03.1922] sur l’emploi des jeunes gens et des femmes dans les arts et métiers ;
c) l’arrêté du Conseil fédéral du 14 janvier 1893 [14.01.1893] concernant le travail de nuit et le travail du dimanche dans les fabriques ;
d) la loi fédérale du 26 juin 1902 [26.06.1902] concernant le paiement des salaires dans les entreprises soumises à la responsabilité civile ;
e) l’ordonnance concernant l’exécution de la loi fédérale sur le travail dans les fabriques du 3 octobre 1919 [03.10.1919], modifiée par l’arrêté du Conseil fédéral du 7 septembre 1923 [07.09.1923] ;
f) la loi fédérale concernant la durée du travail dans les entreprises des chemins de fer et autres entreprises de transport et de communication ;
g) la loi fédérale du 13 juin 1911 [13.06.1911] sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents, spécialement les articles 60 et suivants.

De plus, un projet de loi fédérale sur le repos hebdomadaire dans l’industrie, l’artisanat et le commerce, est actuellement à l’étude, mais des divergences très sérieuses se sont fait jour entre patrons et employés sur l’application de ce principe, surtout en ce qui concerne les hôtels, auberges, cafés et restaurants. Une réglementation fédérale du repos hebdomadaire dans les établissements industriels ou commerciaux non soumis à la loi fédérale sur les fabriques aura certainement de la peine à doubler le cap du referendum. Enfin, le code fédéral des obligations, dans les articles 319 et suivants, régit les rapports juridiques des employés avec les patrons et, d’une façon générale, règle les obligations des employeurs à l’égard des employés, en ce qui concerne spécialement les termes de paiement des salaires ; les salaires en cas d’empêchement de travailler ; les suppléments de salaire pour surcroît de travail ; les locaux de travail ; l’entretien, le logement et les secours médicaux en cas de communauté domestique ; les détails de congé, etc. Mais il laisse la faculté presque complète aux intéressés de déroger, par contrat, à ces dispositions, de sorte que les règles du code fédéral des obligations n’assurent pas, à elles seules, aux employés et ouvriers une protection suffisante, notamment en ce qui concerne la durée du travail, les heures et jours de repos, pour lesquels le code fédéral des obligations ne fait que se référer à l’usage. D’autre part, le code ne prévoit aucune disposition permettant à un organe public de contrôler d’office l’application par l’employeur des prescriptions légales, ce qui rend, dans beaucoup de cas, illusoire le progrès social qu’a voulu réaliser le législateur en révisant le code fédéral des obligations de 1881 [30.03.1881].
Les cantons se doivent d’élaborer une législation tenant compte des cas spéciaux, réglementant d’une manière plus précise les rapports entre employeurs et employés, et prévoyant des pénalités en cas d’infraction à la loi. Divers cantons s’y sont efforcés et ont édicté des lois sur la matière. Par contre, le canton du Valais, jusqu’à ce jour, ne possède rien, ou presque rien. Et pourtant l’article 14 de la Constitution cantonale dit textuellement : « L’Etat dicte des prescriptions concernant la protection ouvrière et assurant la liberté du travail ». Vingt-deux ans se sont écoulés depuis l’introduction dans notre charte cantonale de cette disposition de caractère éminemment social, et qu’avons-nous fait pour l’application de ce principe ? En 1919, M. Camille Défayes, alors député, avait déjà demandé par une motion la mise sur pied d’une législation de protection ouvrière en exécution de l’article 14 de la Constitution cantonale. Cette motion fut prise en considération par le Conseil d’Etat et acceptée par l’unanimité du Grand Conseil, mais on n’y donna malheureusement pas suite. Nous avons jugé nécessaire de revenir sur cette question, car il est évident que la législation de notre canton n’accorde pas une protection suffisante aux employés et aux ouvriers. En dehors de la loi d’application du 20 mai 1921 [20.05.1921] de la loi fédérale sur le travail dans les fabriques et des arrêtés et règlements d’exécution qui s’y rapportent, en Valais, sauf erreur, deux lois seulement renferment des prescriptions protectrices de l’employé ou de l’ouvrier. Ce sont la loi de 1916 [24.11.1916] sur les hôtels, auberges et débits de boisson, et la loi sur les apprentissages de 1903 [21.11.1903], révisée par la loi d’application du code civil suisse. Il y a lieu d’ajouter encore l’arrêté du 9 octobre 1923 [09.10.1923] concernant l’exécution de la loi fédérale du 31 mars 1922 [31.03.1922], et de l’ordonnance y relative se rapportant à l’emploi des jeunes gens et des femmes dans les arts et métiers ; mais le commerce n’est pas soumis à cet arrêté. « C’est tout et c’est bien peu, convenons-en » disait déjà en 1919, M. le député Défayes.

La loi sur les auberges et débits de boisson interdit l’emploi de jeunes filles âgées de moins de dix-huit ans et de jeunes gens de moins de seize ans dans les locaux et emplacements utilisés comme débits de boisson ; elle interdit également le surmenage du personnel et précise que la nourriture de celui-ci doit être suffisante et saine ; pour le logement des employés, cette loi se rapporte aux dispositions de l’article 339 du code fédéral des obligations ; enfin, à son article 59, elle réglemente la durée du repos et les congés à accorder au personnel. Ces dispositions sont d’ailleurs encore insuffisantes. L’article 56 réglementant l’âge d’entrée en service des employés ne s’applique strictement qu’au personnel des débits de boissons, mais non à celui des hôtels et restaurants. Le temps du repos nocturne prévu à l’article 59, qui est de huit heures par vingt-quatre heures et peut être, dans certains cas exceptionnels, réduit à six heures, nous paraît insuffisant. Au surplus, il n’est prévu aucune mesure de contrôle et nous pouvons dire, sans crainte d’un démenti, qu’aussi bien en ce qui a trait aux heures de repos qu’aux congés, la loi est lettre morte pour beaucoup d’employés.
Quant à la loi sur l’apprentissage, elle contient d’excellentes dispositions d’ordre impératif protégeant l’apprenti contre les dangers d’une exploitation injuste de la part des patrons et prévoyant un contrôle de l’application de la loi par une commission cantonale et les commissions locales. En dehors de ces deux lois, seul le code fédéral des obligations régit, dans notre cantons, les rapports entre employeurs et employés, seul il réglemente les conditions de travail de ces derniers et, nous l’avons vu plus haut, il faut reconnaître que ces dispositions ne sont pas suffisantes, le code s’en tenant à des règles générales, se référant à l’usage, sans apporte de précisions quant à la durée du travail en général, du travail de nuit, du travail du dimanche, des congés, des heures et jours de repos, etc.
Messieurs, cet exposé, bien incomplet, de l’état de notre législation vous aura certainement fait constater combien les lois actuelles sont insuffisantes pour protéger l’ensemble des salariés et combien il est nécessaire que notre canton mette au plus tôt sur pied une loi comblant cette lacune et qui soit en harmonie avec la conception moderne des rapports devant exister entre employeurs et salariés dans les conditions de travail de ces derniers.
Cette loi de protection ouvrière devra s’appliquer aux ouvriers et employés, aux apprentis et aux personnes en voie de formation professionnelle, en tenant compte des différences de sexe et d’âge, c’est-à-dire en faisant bénéficier d’une protection spéciale les femmes et les mineurs. Elle doit s’étendre notamment à l’industrie, au commerce, à l’artisanat, aux entreprises de transport, au personnel des administrations cantonales et communales, en tant que leur situation n’est pas réglée par des lois spéciales et suffisantes ; aux gens de maison employés au service du ménage, aux travailleurs agricoles et forestiers, aux employés des personnes exerçant une profession libérale, etc. Par contre, en plus des ouvriers et autres salariés dont les conditions de travail sont déjà réglées par une loi fédérale, les personnes ci-après ne devraient pas être soumises aux dispositions de la nouvelle loi : a) les directeurs, gérants, fondés de pouvoirs et autres employés qui remplacent le patron dans une certaine mesure au moins ; b) les membres de la famille de l’employeur. Cette énumération est nécessairement incomplète. Il appartiendra au législateur de désigner plus exactement les emplois qui devront être soustraits à la loi.
Et maintenant, Messieurs, quelles sont les principales dispositions qui devraient faire l’objet de la loi ? La loi règlementerait en premier lieu, suivant les diverses catégories de salariés, la durée du travail par journée et par semaine, le travail du dimanche, le travail de nuit, la durée et les jours de repos hebdomadaire, en tenant compte des circonstances spéciales pour certains commerces et certaines industries. Puis, elle aurait à édicter des dispositions concernant le travail des femmes et des mineurs, des apprentis et leur formation professionnelle. On pourrait éventuellement exclure de la loi générale les apprentis et les laisser régis par la loi spéciale sur les apprentissages. Elle fixerait dans quelles circonstances et sous quelles conditions la durée du travail journalier pourrait être prolongée, par exemple pour le personnel des commerçants détaillants, pour les boulangeries et pâtisseries, ou encore pour les hôtels et restaurants dont l’exploitation est saisonnière. Elle contiendrait des prescriptions se rapportant à l’état des locaux de travail et des chambres à coucher des employés et ouvriers vivant dans le ménage de leur maître ; à l’inspection périodique de ces locaux ; à l’état du matériel de travail ; à l’interdiction de l’emploi de substances nocives ou dangereuses pour la santé. Elle désignerait les organes de contrôle et les moyens de régler les conflits entre employeurs et employés et enfin, elle prescrirait les pénalités en cas d’infraction aux dispositions légales. Voilà, Messieurs, quelques idées générales dont pourrait s’inspirer le Conseil d’Etat dans l’élaboration d’un projet de loi à présenter à la Haute assemblée.

Dans quelques instants, un représentant du groupe socialiste développera une motion analogue à la mienne, déposée lundi dernier sur le bureau du président du Grand Conseil. Cette motion est accompagnée d’un projet de loi rédigé de toutes pièces. Il est évident que ce mode de faire n’est conforme ni au règlement du Grand Conseil, ni à notre constitution. Seul le peuple peut, par voie d’initiative, présenter un projet de loi rédigé de toutes pièces et non un groupe de députés. En vertu de l’article 45 de la Constitution cantonale, le Grand Conseil n’a pas d’autre prérogative que d’inviter le Conseil d’Etat à préparer un projet de loi. Au surplus, l’article 53 de cette même constitution place dans les attributions exclusives du Conseil d’Etat la présentation des projets de loi au Grand Conseil. Il n’en reste pas moins que si ma motion est prise en considération par la Haute assemblée, le Conseil d’Etat pourra tirer quelques indications utiles du projet déposé par le groupe socialiste, d’autant plus que ce projet est de nature essentiellement bourgeoise, puisqu’il n’est pas autre chose qu’une copie textuelle des dispositions contenues soit dans la loi fédérale de 1914 sur le travail dans les fabriques, soit dans la loi sur la protection des ouvriers du 6 mai 1923 [06.05.1923] du canton de Glaris, soit dans la loi sur la durée du travail du 8 août 1920 [08.08.1920] du canton de Bâle-Ville.
Messieurs les députés, l’élaboration de cette loi de protection ouvrière, on peut le dire, est attendue avec impatience et sera saluée avec joie par les classes travailleuses. C’est un besoin qui ne date pas d’aujourd’hui, puisque – comme je le disais au début de mon exposé –, nos prédécesseurs déjà avaient cru devoir en insérer le principe dans la Constitution valaisanne de 1907 [08.03.1907]. Aujourd’hui, Messieurs, ce n’est plus un besoin, c’est une nécessité. On doit tenir compte du développement considérable qu’ont pris le commerce et l’industrie dans notre canton. Des usines, des fabriques, des hôtels sont pour ainsi dire sortis de terre ; ils ont surgi, nombreux, sur ce sol qui se prête merveilleusement à toutes les manifestations de l’activité humaine. Ils ont surgi, non pas par enchantement, non pas par une espèce de sortilège, mais en raison de ce désir de progrès, de cet esprit d’initiative dont notre peuple sait, quand il le faut, faire preuve. Cet esprit d’initiative, cette volonté de progrès, nous devons, nous aussi, mandataires du peuple, les manifester. Allons donc de l’avant, ne nous laissons point rebuter par ce qui, au premier abord, peut paraître difficile. Deux chemins s’offrent à nous : un petit chemin agréable, celui de la routine ; l’autre, plus ardu, plus malaisé, qui doit tenter les hommes désireux de vaincre les difficultés. Le Valais a déjà choisi. Il est entré dans la voie des réalisations sociales. Quelques œuvres ont été mises sur pied. D’autres restent à faire. Ce n’est point le moment de nous coucher sur le bord de la route et de dire : « Nous n’irons pas plus haut ». Ne soyons pas les mauvais ouvriers qui abandonnent la tâche commencée. Cette tâche, d’ailleurs, n’est pas insurmontable. D’autres l’ont accomplie. Sur la voie que nous suivons, d’autres sont plus avancés que nous. Plusieurs cantons confédérés sont dotés de loi de protection ouvrière. Montrons que, nous aussi, nous sommes à même de réaliser, que nous n’avons pas peur des difficultés quand il s’agit d’accomplir un progrès. Rejoignons-les, nous savons quel est le chemin à suivre et, si possible, devançons-les. Il est certes agréable de penser « Nous sommes entrés dans la voie des réalisations sociales ». Mais, combien plus encore, de pouvoir dire : « Nous sommes à l’avant-garde ».
 

Utilisation

Fin du délai de protection:31/12/1929
Autorisation nécessaire:Aucune
Consultabilité physique:Sans restriction
Accessibilité:Publique
 

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